lundi 9 novembre 2020

Le Parisien libéré - Rue Réaumur

 On l'aura tous remarqué, la partie ouest de la rue Réaumur (autour de la Bourse) est un festival d'immeubles baroques voire extravagants, usant des matériaux et des techniques modernes pour l'époque, et démontrant qu'on peut faire du neuf en respectant le vieux !

Cela est dû aux assouplissements successifs de la stricte règlementation haussmannienne régissant jusqu'alors la construction d'immeubles.

Le percement tardif de cette partie de la rue (1897) fut l'occasion d'organiser le premier concours de façades, d'abord limité à cette artère puis étendu à tout Paris.

Et parmi les immeubles extraordinaires de la rue Réaumur, intéressons-nous au numéro 124 qui est l'œuvre de l'architecte Georges Chedanne. Votre serviteur a eu le privilège de bien le connaître à une époque où sa mère y travaillait.

Il est aujourd'hui peint en vert clair, ce n'est pas inélégant, mais pour qui a connu la "grande époque" de la presse parisienne, cet immeuble est bordeaux-lie de vin, comme l'atteste la photo ci-dessous.



Mais remontons dans les années cinquante. La rue Réaumur est l'épicentre de la grande presse. Sur quelques centaines de mètres de rayon, on rencontre Le Parisien Libéré, l'Equipe, France-Soir, Le Figaro, Paris-Jour, l'Aurore, Combat, et bien d'autres. L'animation est permanente, Les journaux sont alors au sommet de leur gloire, France-Soir et le Parisien tirent à plus d'un million d'exemplaires...
Vous alliez me le demander, le numéro de téléphone était GUT 75 20 !

Le camion garé ci-dessus devant la façade apportait les rouleaux de papiers qui étaient déchargés à la main. Nombre d'accidents ont eu lieu à cette occasion car les rouleaux de papier pesaient plusieurs tonnes. Donc, le papier était livré directement au siège du journal car à l'époque, l'imprimerie était sur place, dans les sous-sols du bâtiment.

On voyait parfois de drôles d'engins devant le 124, surtout à l'époque du Tour de France, organisé par Le Parisien et sa filiale L'Equipe.


La présentation des équipes avait lieu au siège du journal, à grand renfort de public:

Mais le public se massait aussi devant les vitrines à l'occasion de grand événements sportifs ou d'élections importantes; la télévision n'avait pas encore pénétré les foyers !


Au matin, on voyait les livreurs s'égailler dans toutes les directions:



La desserte des gares était assurée par camionnettes, mais certaines villes bénéficiaient des célèbres "6 roues Tissier" qui traversaient la France (et l'Europe) à des vitesses aujourd'hui prohibées...


Le deuxième étage était celui des cerveaux (je ne dis pas ça parce que ma mère y travaillait mais quand même !). Nous voyons ici une réunion dont certains visages ne me sont pas inconnus... (Bonjour mademoiselle Cauchois). 


Mais le "vrai" travail, là où le journal prenait forme, c'était au "marbre":


Il fallait ensuite installer le "stéréotype" sur la rotative:


Ah, les rotatives ! Imaginez une énorme locomotive (vapeur) qui ne roule pas... Qui ne roule pas, mais dont les pièces sont en mouvement à une vitesse difficilement imaginable, le tout dans un vacarme dantesque... Et je ne parle pas de l'immeuble entier qui entrait alors en vibration... Et l'odeur de l'encre !


J'insiste pour que vous élargissiez cette image au maximum pour voir la ruche qu'était un journal dans les années cinquante ou soixante.


Aujourd'hui, le Parisien (plus libéré) est parti en banlieue depuis 1974, et le bruit des rotatives n'est plus qu'un souvenir... Remplacé par les clics des ordinateurs, car nous sommes à présent dans la "Silicone Sentier" où les startupers font du coworking dans des open-spaces... Sic transit...


124 rue Réaumur, Paris II°.

6 commentaires:

Nina a dit…

Une époque où les quartiers étaient "typés".

marc a dit…

juste un mot pour rendre hommage à George Chedanne l'architecte de cet immeuble un grand de l'art nouveau

Tilia a dit…

Un article réellement passionnant. Merci JP

Bauju a dit…

"J'aime flâner"..dans Paris/Gogol, suite à vos articles.
Et après l'épatante cathédrale du n°61 rue Réaumur,
j'ai atterri là: le gai Paris ?

https://goo.gl/maps/wYxeumSWR127gCY28

JPD a dit…

@ Nina: C'est vrai qu'entre la Presse et "la fringue", ce quartier avait un côté particulier!

@ Marc: Tu as raison, j'aurais dû l'indiquer; je vais faire un correctif.

@ Tilia: Merci Tilia, et malheureusement je n'ai pas pu vous faire partager le bruit et l'odeur... C'était dantesque pour le petit garçon que j'étais !

@ Bauju: Merci ! L'immeuble cathédrale est là: http://paris-bise-art.blogspot.com/2011/01/immeuble-cathedrale-rue-reaumur.html

Klaus Building a dit…

Il n'est pas absolument certain que Georges Chedanne soit l'architecte de cet immeuble, le projet qu'il avait déposé pour le permis de construire ne ressemblant en rien à celui-ci, le reste de son œuvre non plus. En fait, sauf découverte récente, ce bâtiment est toujours une énigme dans l'histoire de l'architecture parisienne.