Une fois de plus, notre lectrice Fati nous envoie un reportage très complet sur une école, un architecte et un style; son article est tellement complet que je lui laisse la parole:
Architecture scolaire: Une école modèle
Le groupe scolaire Rouelle Sextius-Michel dans le XVe arrondissement, bâtiment en béton armé habillé de briques, a été conçu en 1912 par l’architecte Louis Bonnier (1856-1946). Cette commande a constitué l’œuvre de sa vie, une création qu’il a faite sienne, au point que pour imposer ses idées il s’est autorisé des entorses à un cahier des charges trop strict à son goût. Il comptait voir « son » école occuper une position charnière entre « l’austérité des écoles Jules Ferry », dont la conception fondée sur la rigueur et la symétrie était le modèle de base depuis 1880, et une école qu’il voulait plus moderne et pittoresque. L’objectif étant pour lui de constituer un laboratoire d’idées nouvelles pour les futurs bâtiments scolaires avec des matériaux peu onéreux.
On peut d’ailleurs s’amuser à sillonner les rues de Paris et de sa banlieue à la recherche des héritiers de cet édifice. J’en ai déjà croisé un dans le 6e arrondissement: l’École maternelle de la rue Madame.
On doit à Louis Bonnier la piscine de la Butte-aux-Cailles ainsi qu'une curiosité célèbre, aujourd’hui disparue, la galerie d’objets orientaux du marchand d’art S. Bing, dont l’enseigne « L’Art Nouveau » a donné son nom au mouvement. La très longue carrière de l’architecte et son acharnement au travail lui ont offert bien d’autres opportunités.
Mais on lui doit surtout le décret de 1902 qui, en offrant une plus grande liberté aux architectes a permis en pleine éclosion de l’Art Nouveau le renouvellement des volumétries, et offert aux façades de gagner en animation et polychromie. Un état d’esprit qui se ressent nettement dans l’œuvre qui nous occupe ici.
Implanté dans un quadrilatère formé par les rues Rouelle, Sextius-Michel, Schutzenberger, Émeriau, l’édifice a apporté une touche ludique dans un 15e encore marqué par une forte présence industrielle. L’établissement a d’ailleurs pris place sur les terrains laissés libres par les anciennes usines Cail. De nombreux ouvriers habitaient le quartier, Bonnier s’est préoccupé du sort de leurs enfants, en décidant de leur faire oublier le caractère obligatoire de la scolarité par la beauté des lieux qu’ils allaient fréquenter, selon lui dans la joie et la bonne humeur.
C’est dans ce but qu’il a conçu une construction pimpante et gaie, déployant un élégant étagement de toitures, des tourelles d’angle aux formes variées, une façade aux subtils décrochements…
Et s’il a imposé des entrées en retrait par rapport au droit de la façade, faisant fi des injonctions de ses commanditaires, c’est, explique-t-il, par souci sécuritaire, pour pallier la largeur insuffisante des trottoirs.
Hygiénisme, lumière et polychromie étaient ses mots d’ordre. Il a donc dessiné un plan en U fermé d’un mur peu élevé, rare pour ce type de construction, pour ne pas créer d’obstacle à la lumière et bien aérer les cours de récréation. Il a travaillé la forme des baies et les a agrandi autant que possible, dès que c’était nécessaire, aussi bien pour les fenêtres côté cour, que pour celles ouvrant sur la rue. Seules, selon lui, des ouvertures d’un seul tenant permettent d’éviter l’aspect « caserne » résultant de la démultiplication habituelle dans les salles de petites fenêtres toutes identiques. Et pour les mêmes raisons il a refusé de mettre des grilles aux fenêtres du rez-de-chaussée parce qu’il estimait « qu’il n’y a pas grand-chose à voler dans une école ». Je ne sais si on lui donnerait raison aujourd’hui.
Cette forme de baies cintrées couplées à une ouverture rectangulaire au niveau de l’allège est-elle son invention ? En tous les cas elle préfigure un type de baies fréquentes dans les bâtiments Art Déco. À noter toutefois que vu de l’intérieur leur aspect est malheureusement dénaturé par les faux-plafonds installés dans le but de préserver la chaleur l’hiver. Bonnier avait tout vu en grand, les cours, les couloirs, les ouvertures, mais aussi la hauteur sous plafond.
Quant à la polychromie, il va la réserver aux accès des élèves. Protégés par une grille aérienne nuisant à peine au rythme décoratif de la brique, les porches sont rehaussés de mosaïques colorées, tuiles vernissées, cabochons, issus des ateliers des céramistes Gentil et Bourdet, ainsi que par des incrustations d’opaline sur les parties où le béton est resté apparent.
Dans l’antiquité ou au Moyen-Âge certains lieux de passages participaient d’un rite purificateur, Bonnier lui, a chargé les accès de l’école Rouelle Sextius-Michel d’une mission vertueuse : la pédagogie par le pittoresque et le beau et l’idée que la couleur influerait sur le mental des élèves et renforcerait leur plaisir d’apprendre.
Et à ce propos, une petite parenthèse personnelle : ma fille a fait une scolarité très heureuse à Rouelle dont elle a gardé un souvenir ému ; mais allez savoir si c’est en raison de ces belles mosaïques et des briques bariolées ou grâce à l’efficacité de l’équipe enseignante ?
L’architecte n’a pas hésité à opter pour des couleurs « franches, éclatantes, au besoin même brutales » pour égayer les espaces intérieurs par ailleurs animés de frises au pochoir dans les classes, et en faïence, dans les vestibules, les corridors et les préaux.
Mais quand l’Art Nouveau est passé de mode et que le Style Moderne a imposé le rejet de toute ornementation architecturale, frises et carreaux décoratifs ont été escamotés, puis au fil du temps oubliés. Le directeur actuel de l’école élémentaire (qu’il soit chaleureusement remercié pour son accueil et ses commentaires) tente de les faire réapparaître sous les différentes couches de badigeon, peinture ou autre papier peint. Mais ce n’est pas encore totalement gagné. À l’époque où je fréquentais les lieux, j’en ignorais l’existence ; « le macadam sur la cour et le blanc cassé sur les murs intérieurs ont fait rentrer dans l’ordre ces suppléments non réglementaires » a écrit Bernard Marrey, dans son ouvrage consacré à la carrière de Louis Bonnier (éd. Mardaga).
Et de cette belle pergola installée parallèlement à la rue Schutzenberger, il ne reste qu’un tout petit souvenir ne payant pas de mine, entièrement repeint de blanc dans la cour de l’école maternelle. En revanche, la pergola et les bancs de la cour de l’école élémentaire ont entièrement disparu. Il faut dire qu’au regard de la faible hauteur du mur, ces bancs auraient peut-être donné une petite envie d’évasion à certains élèves.
Bonnier a donc mis un point d’honneur à élaborer une belle entrée pour les écoliers. Mais, et je ne saurai vous en expliquer la raison, il a tout aussi bien peaufiné la conception de l’escalier de secours de l’école maternelle à la jonction des rues Sextius-Michel et Schutzenberger. Un escalier qu’on peut deviner derrière l’échelonnement des fenêtres, encadré à l’étage par la tourelle en saillie reposant sur ses appuis étagés en pierre blanche et qui termine sa course dans l’arrondi de la tourelle donnant accès à la cour de récréation.
Avec cet établissement scolaire Louis Bonnier a donné ses lettres de noblesse à un type de construction que les historiens de l’architecture appellent le rationalisme pittoresque.
Et pour finir, une note déconcertante, une fantaisie paradoxalement bien éloignée de la sphère enfantine : cet étonnant modillon sculpté d’une créature grimaçante et étrange qui ferait la joie des organisateurs de rallyes mais probablement pas celle des enfants. Est-ce un clin d’œil à Viollet-le-Duc auquel fait penser la conception de l’école Rouelle, ou bien faut-il plutôt y voir un message ésotérique ?
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Merci Fati pour cet article et pour ces images; je pense que nous pouvons tous nous lever et vous faire une standing ovation !
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10 commentaires:
Bravo à Fati pour ce très bel article, et merci à son " hébergeur " !
Très interessant, PBA peut -il indiquer l'adresse exacte de cette école à sextius michel
"dans un quadrilatère formé par les rues Rouelle, Sextius-Michel, Schutzenberger, Émeriau"...
Quelqu'un pour prêter des lunettes à Marc s'il vous plait ?
Merci.
Ce site est d'une cruauté sans nom
Fati mérite vraiment un grand coup de chapeau pour son magnifique reportage.
Merci JPD pour l'avoir publié.
C'est une belle découverte pour moi, d'autant plus que l'architecte Louis Bonnier a œuvré dans le style Art nouveau, un style inscrit dans mes gènes par mes parents qui ont habité à Nancy durant plusieurs années. Exemple de réalisation architecturale Art nouveau à Nancy.
Avec sa figure de gargouille, le modillon de l'école Rouelle me semble effectivement un clin d’œil à Viollet-le-Duc, que l'architecte aurait placé là en guise de signature puisque son nom n'apparait pas sur la façade...
Hi hi hi hi !!!
NB: Mon rire sardonique concernait les propos de Marc !
Tout d'abord un grand merci à tous - y compris Marc ;) - pour votre accueil si cordial.
Et, en fait Tilia, Bonnier était bien trop fier de son école. Sa signature figure sur la face interne du piedroit des deux porches d'entrée, juste au niveau de la jonction entre pierre et brique. Fidèle à ses principes il l'a placée à hauteur d'enfant.
J'ai dû me résigner à laisser de côté un bon nombre de clichés intéressants, dont ceux où figure le nom de l'architecte.
Bonjour et bravo pour ce bel article!Quelqu'un connait-il le nom du mosaïste? merci
Bonjour Sylvie,
Louis Bonnier a fait appel à l'entreprise de céramique et de mosaïque "Gentil et Bourdet".
Si la grande étude sur la mosaïque fait encore défaut (du moins me semble-t-il) on peut consulter les travaux de Bernard Marrey sur Louis Bonnier ou sur les "Matériaux de Paris". Ils m'ont été bien utiles pour compléter mon article. Par ailleurs une étude de cet auteur sur "La mosaïque dans l'architecture à Paris aux XIXe et XXe siècle" est en consultation libre sur Internet, en format PDF.
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