lundi 10 octobre 2022

Enquête sur la provenance d'un maître-autel...

 Comme toujours lorsque Fati nous envoie un article, c'est documenté, bien écrit, bien illustré... Bref, je n'ai plus rien à dire, c'est pourquoi je lui laisse la parole  ! 

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 Alors que la progression du chantier de restauration de Notre-Dame alimente l’actualité, il est intéressant de revenir sur un épisode relatif à la restauration du monument  au milieu du XIXe siècle.

L’église Saint-Jean-Baptiste de Grenelle dans le  XVe arrondissement est un monument déroutant. Est-ce la raison pour laquelle  une  pétition pour sa destruction a circulé en 1909 ? Mais heureusement il n’en fut rien.


Dès sa mise en chantier dans les années 1830, l’édifice a bénéficié de la bénédiction de la maison royale. En effet la pose de la première pierre s’est faite en présence de la  duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI, et de Louise d’Artois, petite-fille de Charles X alors appelée Mademoiselle, d’où le nom de la rue qui prend naissance devant l’église.

Le plan est dû à Henri Bontat, un architecte dont on a perdu la trace en dehors d’un  projet (disons…  prophétique ?) « d’assainissement et d’embellissement de l’Ile de la Cité » prévoyant de remplacer le petit bras de la Seine « par un canal couvert et une promenade publique ». Cela remonte à 1836.

L’édifice est composite pour ne pas dire disparate, une élévation antiquisante d’une grande sobriété surmontée d’un clocher d’esprit médiéval particulièrement bien travaillé. Était-il postérieur  au projet initial ? En tous les cas dès 1881 il figure sur un tableau signé A. Prévost, « La Campagne de Vaugirard » (Musée Carnavalet)



L’intérieur répond à la simplicité de la façade et les vitraux  ne présentent dans leur grande majorité que de simples décors géométriques à caractère art déco pour certains. Mais dans une chapelle deux éléments originaux ont attiré mon regard, des  baies à décor cubiste  devant lesquelles une version arabe de l’Evangile (lire [el-injil]) est fièrement présentée par Saint-Charbel. Ce saint d’origine libanaise se retrouve peut-être dans d’autres églises. Mais c’est la première fois que je le croise.









Et j’en arrive à l’œuvre qui m’a incitée à aller scruter l’intérieur de cette église : son maître-autel en marbre  qui selon une tradition tenace aurait été édifié avec les fragments du chœur de Notre-Dame de Paris, celui qui a été  commandé par  Louis XIV pour honorer le vœu de son père. Les raisons qui ont poussé Louis XIII à souhaiter modifier le chœur de Notre-Dame sont connues. Ce qui nous importe ici ce sont  les descriptions de cet aménagement ornemental  qui  font état d’un important  recours à du marbre polychrome pour paver le sol, habiller les colonnes, fermer le rond-point du chœur… Grâce à quelques vues dues au graveur Pierre-Jean Mariette (Gallica) ou à un tableau de Jean Jouvenet (Louvre) on peut se faire une idée de la configuration du chœur de Notre-Dame au XVIIIe siècle, avant les saccages de la Révolution et la grande réhabilitation de la cathédrale par Lassus et Viollet-le-Duc. 
    

Après la disparition de Lassus, Viollet-le-Duc resté seul sur le chantier va totalement modifier cet ensemble qui a déjà largement souffert de la Révolution en le remplaçant par un chœur d’esprit gothique dans lequel vont reprendre place les trois groupes sculptés de la Piéta et des deux statues de Louis XIII et Louis XIV. Quant aux fragments  de marbre du chœur commandé par Louis XIV en mémoire de son père, ils ont été récupérés par des brocanteurs puis achetés par un curé pour compléter le mobilier liturgique de Saint-Jean-Baptiste de Grenelle.  


Le soin apporté au maître-autel de l’église avec son placage de marbre de couleurs plaide en faveur de cette hypothèse. Et les dates concordent. L’intervention de Viollet-le-Duc à Notre-Dame s’est achevée en 1865 et c’est à 1869 que remonte l’installation de l’autel dans  la paroisse du XVe arrondissement.



Un grand bravo à Fati pour cette enquête menée de main de maître !

Église Saint-Jean-Baptiste de Grenelle - Place Etienne Pernet, Paris XV°.


1 commentaire:

marc a dit…

j'ai aussi voulu prendre mon temps pour lire tranquillement le travail de Fati
Très bien. Je met cette église sur mon agenda pour voir ce maître autel et son marbre rouge de Notre Dame