lundi 6 septembre 2021

Des « catacombes » qui n’en sont point / un mobilier urbain montrant ses limites !


Quand Gilles Thomas nous propose un article, on accepte, on dit merci et on le lit avec reconnaissance !

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Vous avez certainement remarqué parmi le mobilier urbain de la capitale, un nouveau venu sous forme de tablettes, non pas interactives on sait trop déjà le peu de temps que ces supports résistent à de mauvaises manipulations à répétition s’il n’y pas un agent affecté à leur surveillance régulière, alors dans la rue, pensez-donc, entre les intempéries, les pigeons et le vandalisme...

Rappel: cliquez sur les photos pour les agrandir.

Ainsi, cet été 2021 ont été installées des bornes à vocation historico-pédagogique, sur le thème de la Révolution française (Clic !). La mise en place de ces déambulations (au nombre de seize) était prévue pour une inauguration en novembre 2020, mais divers événements ont retardé sa mise en place, dont le plus retentissant, car nous en subissons encore des soubresauts, est de nature pandémique.
Voici celle dont je vous laisse reconnaître l’emplacement, devant un mur nous ayant murmuré autrefois des choses, justement durant cette période insurrectionnelle : le mur des Fermiers généraux, et particulièrement ici la barrière d’Enfer (place Denfert-Rochereau, ou encore plus exactement devant le 1, de l’avenue du Colonel Henri Rol-Tanguy).
L’empiètement de ce mobilier pédagogique est ajouré en forme de bonnet phrygien, tandis sur le côté gauche de la photo se trouve enchâssée cette pastille au sol (en quelque sorte des « clous révolutionnaires »), que vous retrouvez le long du parcours suivi, au niveau des spots d’arrêt.


Puisque nous sommes devant celui initiant le parcours autour du « quartier des Catacombes » (dont l’entrée se situe au 3, de l’avenue), penchons-nous sur le texte.


Plus près…


Non, plus à droite !



Mais encore plus près…


Que lisons-nous : que « lors de la semaine sanglante de mai 1871 [on passe donc d’une Révolution à l’autre, mais pourquoi pas !], de nombreux “Communards” y sont massacrés ». Y auraient été massacrés ?? Je m’inscris en faux. C’est une erreur grossière, trop souvent reprise car il n’y a pas eu de Communards massacrés dans les « Catacombes », du moins l’ossuaire municipal de la capitale, mais pas non plus dans les carrières circonvoisines ; et même le terme massacre est totalement hors de propos pour les événements souterrains qui auraient pu s’y dérouler. Il y a en fait confusion entre Catacombes (= ossuaire municipal, l’un des 14 musées de la Ville de Paris (Clic !) dont le nom a été adopté par analogie avec celles de Rome dès 1782, et le terme générique de « catacombes » repris pour désigner l’ensemble des carrières sous Paris (voire même en banlieue !) par abus de langage dès l’origine du dépôt d’ossements parisien.



Certes, me direz-vous, oui, oui vous pourriez le dire, ne serait-ce qu’y penser : il existe un texte paru dans L’illustration du 17 juin 1871, relativement connu puisque accompagné d’un dessin fréquemment reproduit : « La chasse à l’homme [parfois titrée avec cette précision : aux flambeaux] dans les Catacombes ». Cette illustration a aussi été reproduite sous la forme de couples stéréoscopiques, noir et blanc ou colorisés.

Musée Carnavalet

Attention le texte suivant est volumineux... vous pouvez passer à l’étape suivante. Mais toute la démonstration de mon affirmation s’y trouve !

L’article susnommé, signé des initiales C.P. dit (les parties soulignées ou en gras l’ont été ici pour être mises en exergue) :

« Cette chasse dans les Catacombes a été l’un des épisodes les plus dramatiques de ce grand drame de la prise de Paris par l’armée de Versailles. Nous devions donc en conserver le souvenir par un dessin et en dire quelques mots.

La lutte à travers les rues de la ville est terminée. Les insurgés ont été forcés dans toutes leurs positions. Ceux qui n’ont pas été tués en combattant, pris ou fusillés, ont tous cherché leur salut dans la fuite. Les uns se sont réfugiés dans les égouts, les autres dans les carrières d’Amérique, d’autres enfin, en plus grand nombre, dans les Catacombes.

Aucun de ces asiles ne devait les protéger. Traqués et atteints partout, ils furent tous ou tués sur place ou faits prisonniers, et conduits à Versailles. C’est dans les premiers jours de ce mois que commença la chasse à l’homme dans les Catacombes. Des troupes y pénétrèrent par la porte de la barrière d’Enfer, tandis que d’autres troupes occupaient solidement l’autre porte ouvrant sur la plaine de Montsouris. Puis, armés de torches, les soldats descendirent avec précaution dans l’immense ossuaire. Ce qui s’y passa alors se devine sans peine.

Notre dessin parle trop éloquemment pour que nous jugions nécessaire de nous mettre en frais de description. Horrible a dû être cette lutte suprême, à la rouge lueur des torches, éclairant étrangement les visages contractés des combattants. Piétinements furieux, cris de colère et cris de douleur, râles d’agonie, et le cliquetis des baïonnettes et les détonations ;
quelle scène ! Tout cela dans les longs couloirs de ces cryptes tapissées d’ossements, sous l’oeil même des morts, troublés dans le repos qui leur avait été promis ! En effet : “Au-delà de ces bornes ils reposent en attendant la vie bienheureuse” est-il écrit en latin sur la porte où on descend chez eux : Has ultra metas requiescunt beatam spem expectantes. »

Lisant ce titre « Chasse à l’homme... » et connaissant le contexte de la répression des Communards, on pourrait donc en déduire (un peu trop) rapidement que les « catacombes » ont été la scène d’un véritable massacre, comme celui tristement connu qui s’est déroulé au cimetière du Père Lachaise le 28 mai 1871. Pour les besoins de la mise en image, il fut bien évidemment demandé (pour accrocher le lecteur... déjà !) un dessin montrant ce que le texte évoquait. L’illustrateur a choisi de représenter ce qui était le plus visuel des galeries sous Paris (mais non pas le plus représentatif, car ne constituant qu’1/700e de l’ensemble des galeries), je parle de « l’ossuaire des catacombes » ; mais reconnaissons que dessiner un autre endroits des carrières sous Paris, cela n’aurait été finalement qu’un couloir sans « âme »...

Notons que dans la première partie de ce texte, les carrières d’Amériques (donc de gypse) sont tout simplement opposées aux « catacombes », qu’il convient bien dans ce cas d’interpréter par « l’ensemble des carrières de calcaire ».

On peut aussi subodorer que le journaliste C.P. en question avait également extrapolé un combat dans l’ossuaire à partir de lectures d’articles évoquant une traque de Fédérés potentiellement cachés dans le Paris sous Paris pour échapper à la hargne de leurs poursuivants. En effet, le sous-sol parisien comprenait à l’époque les égouts et les carrières, ces dernières étant par ailleurs déjà dénommées par glissement sémantique « catacombes », et comme « Catacombes » = « Ossuaire », alors… ce qu’il s’y passa a été deviné sans peine un peu trop vite et dans un but de sensationnalisme déjà puisque Horrible a dû être cette lutte ! (l’emploi du verbe « devoir » montre également à nouveau une réserve de l’auteur).

Foin de ces coquecigrues et autres billevesées, prenons de nouveaux exemples (ou illustrons notre propos par quelques exemples, pour ceux qui n’ont pas lu la prose précédente).

En septembre 1870, le Préfet de Police de Émile de Kératry (comte de son état) fait informer par voie d’affiches, qu’une visite minutieuse « des Carrières et des Catacombes des environs de Paris » a été effectuée.


Par la suite, le 17 mai 1871 (jour particulier s’il en est), un article du journal La Vérité cite les « Catacombes extérieures aux bastions ». Autres extraits : « on entre dans les Catacombes rue Bonaparte dans Paris ; on sort des Catacombes par une porte secrète qui est à l’intérieur du Fort [de Montrouge] » ; de même ce journal évoque l’inspection des « Catacombes de Montrouge » en vue de permettre l’arrivée de renforts, et l’inspection des « Catacombes d’Issy » afin d’étudier une possibilité d’évacuation. Etc. etc.
Quoi qu’il en soit, parler des « carrières de Paris », pour les dodéca-capillotomistes c’est également une erreur. La vraie périphrase devrait être : « les galeries de servitude établies au niveau des anciennes carrières souterraines de la ville de Paris » !
Halte aux digressions et revenons aux panneaux de notre déambulation historique révolutionnaire, que nous avons laissés sans surveillance...
Il y a quelques temps, certains avaient fait remarquer qu’installer des « sièges-champignons » en cercle autour du tronc d’arbres à proximité des arrêts bus, ce n’était pas très judicieux, les pigeons et autres « volatiles » parisiens n’ayant nullement appris la propreté et donc ne sachant pas utiliser le caniveau. Heureusement le bon sens a fait revenir nos urbanistes sur cette vraie-mauvaise idée ! (Clic !)

Et bien, même motif, même punition pour certains panneaux :




Et encore là, il est propre, car cela s’empire jour après jour !
Mais heureusement cela ne sent rien ! 😜

Après avoir remonté le temps, retournons-en haut de cette page pour boucler notre boucle, car comme les parenthèses après les avoir ouvertes il faut toujours penser à les fermer. Revenons donc quasiment à notre point de départ (plus précisément la deuxième photo, celle du bonnet phrygien), que vous avez certainement su localiser en regardant au travers des fentes...



Les graffitis et les tags ne seraient-ils que des déchets humains ? C’est vrai qu’il n’y a aucun service de nettoyage à Paris, et que ce secteur du 4e arrondissement est relativement défavorisé ! Non, pas sur la tête...

Pour clore notre proposition de débat, terminons par une note sinon positive, du moins plus apaisante. « Venez néanmoins visiter les Catacombes de Paris, dans le respect des gestes barrières », et de la tranquillité des millions de trépassés qui y reposent !



***

Un grand merci à Gilles Thomas pour cet article passionnant. J'avoue avoir buté sur le concept de "dodéca-capillotomistes", mais en ressortant mon Gaffiot et en passant deux ou trois coups de fil à l'Académie française, j'ai réussi à comprendre !

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10 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Merci pour cet article.
Pour info, L'illustration a publié un erratum dans son édition suivante, mais je n'arrive pas à remettre la main dessus.

Anonyme a dit…

Sauf que cette illustration et le même texte ont été publiés dans plusieurs journaux à l'époque au mot près, que dis-je à la lettre près... comme cela était très courant en cette seconde moitié du XIXe siècle (la description d'un fait divers pouvait être reprise sans en changer un iota dans une foultitude de journaux tant à Paris qu'en province, voir par des correspondants de journaux francophones à l'étranger...) ; donc même si l'un avait fait un erratum, son effet aurait été epsilonien pour le lectorat qui sera toujours plus touché par des images, que par un texte qui plus est diffusé postérieurement.
Exemple : quand en 1990 a été diffusé le reportage bidonné (devenu par la suite un parangon de la désinformation, suivi dans le tiercé de tête par l'interview truquée de Fidel Castro par PPDA et la pseudo découverte d'un charnier à Timisoara) dans l'émission "52 sur la une" sur TF1 (titré "La faune étrange des sous-sols de Paris"), tous les journaux et magazines francophones sans retenue aucune avaient pré-annoncé la diffusion avec force qualificatifs emphatiques et signalant qu'on allait enfin savoir ce qui se déroule sous Paris... ils n'allaient pas se déjuger par la suite. Seul le Monde a osé titrer à la suite du scandale de cette émission présentant les fantasmes de son réalisateur (que la pudeur m'interdit de citer ici) "52 sur la une, le choc des images, le poids des trucages !" Qui (quel lecteur lambda) a fait le lien entre ces images de la TV et le texte du quotidien du soir ? Personne excepté les autres journalistes et les cataphiles, soit un micro-pouième de la population, mais le mal était fait qui se propage plus vite qu'une pandémie covidienne à la vitesse d'un cheval fou lancé au galop et dopé par les hormones internétiennes des ondes incontrôlables du réseau virtuel globalisé. CQFD !
Ceci dit si, ce rectificatif existe, je veux bien le voir... ne pas hésiter à faire suivre !

Nina a dit…

Alors "Les Gaspards", c'est pas du vrai ??

Thomas a dit…

Mais si, mais si (et je ne parle pas de foot, je n'y connais absolument rien ; moi tout ce qui relève purement et uniquement d'une question d'argent, de gros sous, je préfèrerais éventuellement m'intéresser au sport...).
Quant aux "Gaspards", réponse justement dans : Paris sous Paris !

Nina a dit…

@ Thomas: merci! (on finirait par douter de tout, non mais)! Maintenant pour le foot, on a Sergio Ramos qui s'est blessé à l'entraînement dés son arrivée. Normal.

JPD a dit…

Si l'on m'avait dit qu'un jour, ce blog parlerait de foot...

JPD a dit…

Je précise que le texte publié ci-dessus (à 22h17) par un certain "Anonyme" est de Gilles Thomas.

Nina a dit…

Ah !!! (une mite tombe).

Anonyme a dit…

Bonjour Gilles,
On trouve l'article originel du 17 juin 1781 en suivant ce lien : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=uc1.c008850518&view=1up&seq=362&skin=2021
On trouve l'erratum publié le 22 juillet 1781 en suivant ce lien (c'est à la page 62) : https://books.google.fr/books?id=PpFUAAAAcAAJ&pg=PA62
À bientôt

R.

Thomas a dit…

Grand merci No Nyme, sincèrement ! mais le mal était fait (avec des conséquences jusqu'à la Conservation passée et actuelle du "musée des Catacombes") car comme il fut écrit au moment du rectificatif "l'erreur commise par nous de bonne foi peut être exploitée par d'autres…" la preuve dans Le voleur (daté du 28 juillet 1871) : https://www.parismuseescollections.paris.fr/de/node/284065
Il existe aussi des couples stéréos (en N&Bl ou en couleurs) :
https://photostereo.org/rechpages.php?chaine=catacomb&libre=OK
ou cette estampe en couleurs :
https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/les-catacombes-de-paris#infos-principales.
Comme je l'ai déjà écrit, et je ne le dirai jamais assez : "Vive la mutualisation"
Et à nouveau Grand Merci à No Nyme !!