lundi 24 mai 2021

Les rétrospectives de l’Exposition Universelle de 1889

 Lorsque Fati fait une digression, ce n'est jamais en vain !

Je vous propose de la suivre et, comme elle écrit mieux que moi, je lui cède bien volontiers le porte-plume !

***

"Votre jeu du 13 avril m’a fait penser à deux  mascarons  d’aviateurs que j’avais croisés un jour, boulevard Delessert.



Mais mes recherches sur l’immeuble où trônent mes deux
figures ont bizarrement pris une autre orientation, celle de l’Exposition Universelle de 1889.


La consultation des permis de construire à l’adresse du boulevard Delessert m’apprend en
effet que les mêmes lieux ont vu, le 22 décembre 1888, le commencement des travaux de
la reconstitution de la Tour du Temple et en juillet 1897, l’installation du Panorama d’un
grand spécialiste de la chose : le peintre Théophile Poilpot (1848-1915) qui à l’époque
bénéficiait d’une grande estime. Il était alors considéré comme le plus grand des
panoramistes.



L’Exposition de 1889 bien plus que toutes les autres, a été la manifestation même de
la commémoration ; dont évidemment celle du centenaire de la Révolution avec l’érection
de la Tour Eiffel. C’est suffisamment connu, je ne vais donc pas vous embêter avec cette
histoire. Mais ces fêtes à grande échelle créées à la gloire du progrès technique et industriel
ont de même assumé le commémoratif. Et en cela 1889 a réussi à presque tout célébrer :
 La Centennale des Beaux-Arts. Une exposition rétrospective de la peinture française
de 1789 à 1889.
 La Décennale de l’Art Français
 La rétrospective des objets d’art
 Les progrès de la médecine
 L’histoire de l’éducation et de l’enseignement.
 La Rétrospective de l’Histoire de l’habitation humaine, travail gigantesque confié à
Charles Garnier qui dit-on s’est inspiré des écrits de Viollet-le-Duc.


Il y était question
de montrer « l’évolution de l’humanité » à travers la reproduction grandeur nature
de 44 maisons « allant de l’habitat troglodyte aux Incas, en passant par la Perse ou le
Moyen-Âge ». L’idée fut largement applaudie pour son caractère ludique et
l’immensité du travail fourni par l’architecte de l’Opéra. Mais critiqué aussi pour ses
approximations et parfois ses fantaisies.



Il y eut probablement d’autres commémorations et surtout des reconstitutions « à
l’identique » de monuments historiques disparus, dont celle de la Bastille entourée de
quelques rues du quartier Saint-Antoine installée avenue de Suffren. Avec la Tour Eiffel elle
devait être l’un des clous de la manifestation. Le jour de l’inauguration les plaisanteries
autour du mot « Restauration » n’ont bien évidemment pas pu être évitées dans les discours
officiels très républicains.




En marge de l’Exposition et pour la rentabiliser surtout (les Expositions Universelles
sont très gloutonnes et même déficitaires), les organisateurs ont imaginé la mise en place
de nombreuses attractions dans l’esprit de la Foire du Trône. L’une d’entre elles a pris place
à l’intérieur d’une Tour de Nesle reconstruite, selon les écrits de l’époque « telle qu’elle était
alors », et installée dans le quinzième arrondissement entre la rue d’Ouessant et l’avenue
de la Motte-Picquet. Donc à quelques pas de la copie de la Bastille. Le bâtiment a intrigué
par les attractions qui y étaient proposées et surtout par les mises en scènes historiques
avec figurants costumés.


Mais la reconstitution qui m’intéresse ici est celle de la Tour du Temple. Elle aussi fut
implantée en marge de la manifestation principale, aussi ne figure-t-elle ni sur le plan
d’ensemble de l’Exposition ni sur les vues aériennes. Mais elle a été immortalisée par des
affiches publicitaires, des photographies ou même par un tableau du peintre Alexandre-
Gaston Guignard.


Cette autre Tour fut installée en bordure des jardins du Trocadéro sur un terrain destiné
initialement à une petite maison qui n’a sans doute pas vu le jour, entre le boulevard
Delessert et les rues Le Nôtre et Chardin. À son emplacement et depuis 1912 se trouve une
œuvre due à l’architecte Ernest Sanson, l’Hôtel de la Trémoille, aujourd’hui résidence de



Encore plus intéressant, la reconstitution de la Tour du Temple a été confiée à
l’entreprise en maçonnerie du tailleur de pierre Claude-Marie Perret, père… d’Auguste. Or
c’est précisément Auguste lui-même qui a eu l’excellente idée de fournir les dessins
techniques nécessaires à l’édification du monument.
De nombreuses sources actuelles (dont, si j’ose me permettre, la Cité de l’Architecture)
associent ce bâtiment aux maisons que Charles Garnier a construites dans le cadre de
« l’Histoire de l’habitat ». Mais je ne pense pas que ce fut le cas. À mon avis l’édification de
la dernière résidence de Louis XVI correspond davantage aux principes plus généralement
historicistes de l’événement et de sa commémoration de la Révolution française. D’abord
elle ne figure pas dans l’ouvrage dédié spécifiquement à ces constructions et dont le texte a
été rédigé par l’architecte Frantz Jourdain. Et surtout elle a été installée sur l’autre rive de la
Seine à l’opposé des maisons que Garnier a construites aux pieds de la Tour Eiffel.


Elle répond de même à la thématique commémorative que l’on retrouve dans ces autres
manifestations fétiches qu’ont été les Panoramas. Ce n’est peut-être pas un hasard si elle
fait face à celui dédié à « L’histoire de la Révolution et l’Empire » qui a été installé là où
aujourd’hui se trouve l’immeuble avec les deux mascarons d’aviateurs.


Un courrier envoyé
par Poilpot à une connaissance suggère que l’artiste a conservé son Panorama du boulevard
Delessert au-delà de la clôture de la manifestation.
Immenses toiles peintes dépassant parfois les 150 mètres de long présentées avec jeux de
lumière dans des rotondes pouvant atteindre 50 mètres de diamètre, les panoramas avaient
pour objectif de donner l’illusion de la réalité. Installé au centre de cette rotonde, immergé
dans la scène qui lui est proposée, le spectateur devait imaginer se trouver en plein milieu
non d’une image peinte, mais du lieu réel que lui présente l’image. En 1889 les visiteurs ont
pu profiter d’une dizaine de panoramas, dont trois au moins peints par le seul Théophile
Poilpot. Les Panoramas Poilpot étaient tellement célèbres qu’ils finirent par donner
naissance par dérision à un néologisme : « Les Poilporamas » pour compléter la liste, et je
n’invente rien, des « Dioramas » « Maréoramas » ou des « Cinéoramas » qui eux ont fait
leur apparition lors de l’Exposition de 1900.



En 1889 il y eut différentes sortes de panoramas. Ceux à caractère exotique présentant par
exemple Rio-de-Janeiro, les Chutes du Niagara…, des panoramas à but promotionnel 
financés par des entreprises industrielles dont le Panorama de la Compagnie Transatlantique
réalisé par Poilpot, ou, pour rester dans la thématique de l’année, les panoramas
historiques dont celui de l’éternel Théophile Poilpot sur le boulevard Delessert et que l’on
voit figurer sur le plan du secteur du Trocadéro.




Voilà, retour au présent. Ma promenade s’achève là où elle a commencé au 4 boulevard
Delessert dans le 16 e arrondissement non loin du très bel escalier de l’avenue Camoëns. Mais
là c’est une autre histoire."



***

Je crois que nous pouvons dire un grand merci à Fati, tant pour la rédaction de cet article que pour ses illustrations !


1 commentaire:

Jean-Marie a dit…

Bravo !
Article à la fois concis et extrêmement dense avec une multitude d’informations passionnantes.