Suite de notre visite de l'hôpital de Bicêtre, dans sa partie historique.
Le bâtiment de la Force avait deux niveaux de cachots souterrains: le plus profond - les cachots noirs - ne voyaient pas le jour du tout; ils ont été comblés. Le niveau le moins profond - les cachots blancs - disposait de quelques rares soupiraux. C'est ceux-ci que nous visitons.
Photos prises au flash; l'obscurité est totale.
En dépit de travaux récents (tuyaux, fils électriques, etc), les cellules sont encore visibles
Certaines ont conservé leur bat-flanc.
Cette cellule est presque intacte (remise en état).
Nous revenons maintenant sur nos pas et plus précisément vers le bâtiment portant la plaque "chapelle" que nous avions déjà vu.
Lors de sa construction en 1735, cette vaste pièce était occupée par un manège mû par douze chevaux qui, par un jeu de câbles, manœuvrait deux énormes seaux (270 litres chacun). Ces seaux allaient chercher de l'eau au fond du puits voisin.
Ces douze chevaux furent bientôt remplacés par 72 prisonniers enchaînés au manège, qui eux-même furent remplacés par 72 malades pensionnaires de l'hospice (aliénés ou épileptiques).
Il fallut attendre le second empire (1858) pour qu'une machine à vapeur fasse fonctionner les pompes.
Même si la fonction religieuse du lieu n'est plus d'actualité depuis longtemps, quelques objets nous rappellent cette fonction.
Si vous agrandissez cette gravure, vous verrez les chevaux animer le manège:
Ce plan d'époque est toujours d'actualité.
De gauche à droite: le manège installé dans la chapelle qui manœuvrait les seaux plongeant dans le puits dont l'eau était versée dans le réservoir.
Construit entre 1733 et 1735 par Boffrand pour alimenter l'hospice de Bicêtre, ce puits descend à 58 mètres (soit la hauteur d'un immeuble de 20 étages). Il puise l'eau dans la nappe phréatique de la Bièvre. Il fonctionna jusqu'en 1903.
La première chose qu'on voit en entrant dans la petite maison abritant le puits, c'est... la charpente d'origine !
Puis il faut bien baisser les yeux...
Car nous sommes au bord du fameux puits de Bicêtre ! J'ai conservé cette photo où l'on voit des humains pour avoir une idée de l'échelle: cinq mètres de diamètre !
Pour mémoire, la largeur d'une voiture du métro parisien est de 2,40 mètres.
Lorsque les projecteurs sont éteints, ce gouffre donne une idée assez précise de l'entrée des enfers...
Lumière !
Un escalier de fer nous attend; vous me suivez ?
Non, mais ça ne va pas la tête ? J'ai déjà du mal à faire ces photos...
Oui, oui, c'est de l'eau dans le fond.
Croyez-moi, les photos ne restituent que très partiellement le gigantisme de ce puits. C'est très impressionnant.
Le puits n'est plus utilisé depuis 1903.
Seuls, les pompiers viennent parfois y faire des exercices.
L'eau venant du puits était stockée dans un énorme réservoir dont les parois étaient tapissées de plomb pour en assurer l'étanchéité.
Ce réservoir sert aujourd'hui de salle "polyvalente". On y joue des pièces de théâtre...
On y organise aussi des expositions comme celle-ci, organisée pour les "Portes ouvertes" des hôpitaux en mai 2016 par le "Musée de l'AP-HP".
On y voit par exemple ces bustes d'enfants "idiots"...
Si l'on regarde les murs du réservoir au niveau du chemin de ronde qui surplombait le niveau de l'eau, on distingue des dessins. D'aucuns vous diront que ce sont de précieux témoignages de prisonniers... Sachant que cette salle sert à la récréation des carabins, j'opterais plutôt pour un pastiche (réussi) réalisé récemment.
L'accès à un hôpital est libre et, pourvu que vous sachiez vous orienter, vous pourrez voir les parties extérieures quand vous voulez.
Les sites fermés (cachots, puits, chapelle) ne sont ouverts que pour les visites guidées ou lors d'opérations spéciales comme les "Portes ouvertes" ou les journées du patrimoine (se renseigner).
Le Comité de tourisme du Val de Marne organise parfois des visites.
78 rue du général Leclerc, Le Kremlin-Bicêtre (Val de Marne).
7 commentaires:
un des articles les plus aboutis , on voit clairement que vous avez payé de votre personne , pris des risques inconsidérés ,
Excellent article, oui, mais parlons plutôt de SEAUX puisant l'eau en ce gigantesque puits, plutôt que de SCEAUX qui sont tout autre chose (historique, certes).
Mais vous avez raison ! Et j'ai fait la faute trois fois !
Je me couvre la tête de cendres et je pars me flageller de ce pas.
Ah, que je suis sot !
Merci de m'avoir signalé cette faute.
Merci d'avoir évoqué avec intelligence ce lieu émouvant et très impressionnant. Je signale deux très beaux livres sur Bicêtre :
- Dans la nuit de Bicêtre, de Marie Didier, Gallimard, 2006
- Le grand renfermement, Histoire de l'hospice de Bicêtre 1657-1974, de Jean Delamare et Thèrèse Delamare-Riche, Maloine, 1990
Cordialement.
Très beau billet.
Voici un extrait des Mémoires de François Vidocq (tome 1) qui a été plusieurs fois " pensionnaire " de Bicêtre dans sa partie prison :
" La prison de Bicêtre est un vaste bâtiment quadrangulaire, renfermant diverses constructions, et plusieurs cours, qui toutes ont un nom différent : il y a la grande cour, où se promènent les détenus, la cour des cuisines, la cour des chiens, la cour de correction, la cour des fers. Dans cette dernière, se trouve le bâtiment neuf composé de cinq étages ; chaque étage forme quarante cabanons, pouvant contenir quatre détenus. Sur la plate-forme qui tient lieu de toit, rôdait jour et nuit un chien nommé Dragon, qui passait dans la prison pour être aussi vigilant qu’incorruptible ; des détenus parvinrent cependant plus tard à le suborner, au moyen d’un gigot rôti, qu’il eut la coupable faiblesse d’accepter : tant il est vrai qu’il n’est point de séductions plus puissantes que celle de la gloutonnerie, puisqu’elles agissent indifféremment sur tous les êtres organisés. Pour l’ambition, pour le jeu, pour la galanterie, il est des termes fixés par la nature, mais la gourmandise ne connaît pas d’âge, et si l’appétit oppose parfois sa force d’inertie, on en est quitte pour s’émanciper par une indigestion. Cependant, les amphitryons s’étant évadés, pendant que Dragon dégustait le gigot, il fut cassé et relégué dans la cour des chiens : là, mis à la chaîne, privé de l’air libre qu’il respirait sur la plate-forme, inconsolable de sa faute, il dépérit de jour en jour, et finit par succomber aux remords, victime d’un moment de gourmandise et d’erreur.
Près du bâtiment dont je viens de parler, s’élève le bâtiment vieux, à peu près disposé de la même manière, et sous lequel on a pratiqué les cachots de sûreté, où l’on renferme les turbulents et les condamnés à mort. C’est dans un de ces cachots qu’a vécu quarante-trois ans celui des complices de Cartouche qui avait trahi pour obtenir cette commutation ! Pour jouir un instant du soleil, il contrefit plusieurs fois le mort avec tant de perfection, que lorsqu’il eut rendu le dernier soupir, deux jours se passèrent sans qu’on lui retirât son collier de fer. Un troisième corps de bâtiment, dit de la Force, comprenait enfin diverses salles, où l’on déposait les condamnés arrivant de la province, et destinés comme nous pour la chaîne.
À cette époque, la prison de Bicêtre, qui n’est forte que par l’extrême surveillance qu’on y exerce, pouvait contenir douze cents détenus, mais ils étaient entassés les uns sur les autres, et la conduite des guichetiers ne tendait nullement à adoucir ce que cette position avait de fâcheux : l’air renfrogné, la voix rauque, le propos brutal ; ils affectaient de bourrer les détenus, et ne se déridaient qu’à l’aspect d’une bouteille ou d’un écu. Ils ne réprimaient, du reste, aucun excès, aucun vice, et pourvu qu’on ne cherchât pas à s’évader, on pouvait faire dans la prison tout ce que bon semblait, sans être dérangé ni inquiété. Tandis que des hommes condamnés pour ces attentats à la pudeur qu’on ne nomme pas, tenaient ouvertement école pratique de libertinage, les voleurs exerçaient leur industrie dans l’intérieur de la prison, sans qu’aucun employé s’avisât d’y trouver à redire.
Suite de l'extrait des mémoires de Vidocq :
Arrivait-il de la province quelque homme bien vêtu, qui, condamné pour une première faute ne fût pas encore initié aux mœurs et aux usages des prisons ; en un clin d’œil il était dépouillé de ses habits, que l’on vendait en sa présence au plus offrant et dernier enchérisseur. Avait-il des bijoux, de l’argent, on les confisquait également au profit de la société, et comme il eût été trop long de détacher les boucles d’oreilles, on les arrachait, sans que le patient osât se plaindre. Il était averti d’avance que s’il parlait, on le pendrait pendant la nuit aux barreaux des cabanons, sauf à dire ensuite qu’il s’était suicidé. Par précaution, un détenu, en se couchant, plaçait-il ses hardes sous sa tête, on attendait qu’il fût dans son premier sommeil ; alors on lui attachait au pied un pavé que l’on posait sur le bord du lit de camp : au moindre mouvement le pavé tombait : éveillé par cette brusque secousse, le dormeur se mettait sur son séant, et avant qu’il se fût rendu compte de ce qu’il venait d’éprouver, son paquet, hissé au moyen d’une corde, parvenait à travers les grilles à l’étage supérieur. J’ai vu au cœur de l’hiver des pauvres diables, après avoir été dévalisés de la sorte rester en chemise sur le préau jusqu’à ce qu’on leur eût jeté quelques haillons pour couvrir leur nudité. Tant qu’ils séjournaient à Bicêtre, en s’enterrant, pour ainsi dire, dans la paille, ils pouvaient encore défier la rigueur de la saison ; mais venait le départ de la chaîne et alors, n’ayant d’autre vêtement que le sarrau et le pantalon de toile d’emballage, souvent ils succombaient au froid avant d’arriver à la première halte "
Je ne peux que conseiller la lecture de l'intégralité de ces Mémoires de François Vidocq (4 tomes), pleines de vie, riches en renseignements historiques, passionnantes.
Merci de cet excellent conseil de lecture !
Enregistrer un commentaire