mercredi 29 novembre 2017

Un immeuble de Charles Labro rue Sedaine

Notre lectrice Fati a décidé d'offrir pour ses neuf ans un cadeau à Paris-Bise-Art: cet article fort détaillé et les photos qui l'accompagnent.
C'est donc bien volontiers que je lui cède la parole.

***

La rue Sedaine (XIe arrondissement) est une artère dont le tracé tel qu'on le connaît aujourd'hui commence à voir le jour en 1844 dans sa partie centrale (entre les rues Saint-Sabin et Popincourt) pour atteindre sa longueur définitive en 1862. C’est en 1850 qu'on lui attribua le nom de l’auteur dramatique Michel Sedaine (1719-1797) voisin du quartier. Un médaillon à son effigie agrémente d’ailleurs la façade du n°2.


Cette artère a pour particularité de répondre parfaitement aux normes haussmanniennes régulant la hauteur et les saillies des bâtiments sur rue. Les immeubles y sont dépourvus d'aspérité et parfaitement alignés comme des articles dans un hypermarché (pour autant nulle intention de ma part de dénigrer le travail du célèbre préfet). Mais au niveau du n°52 un immeuble détonne au milieu de l’uniformité ambiante et se fait remarquer par sa façade admirablement travaillée, son association réussie de la pierre et de la brique qui ne se dévoile qu'aux deux étages supérieurs, et surtout ses nombreux encorbellements. 


Une fantaisie qui semble émaner d'un créateur longtemps brimé qui, à la faveur de deux nouveaux règlements urbanistiques plus permissifs (1882 et 1893)*, s’est donné à cœur joie dans une explosion de saillies en tout genre. Bow-windows (ou oriel si l'on veut éviter le recours à l'anglais) de diverses tailles et formes, à angle droit, à pan coupé, reposant sur consoles, de profondeurs plus ou moins prononcées. Des baies tout aussi variées incluses ou non dans les oriels, surmontées de linteaux simples ou ornés, de frontons triangulaires enserrant une énigmatique sphère dont l'arrondi ne fait qu'appuyer la géométrisation de la façade, voire dépourvues de décor pour certaines d'entre elles.  Un agencement parfaitement rectiligne mais néanmoins adouci çà et là par des courbes. 
L'immeuble qui date de 1898 (année de l’achèvement du Castel Béranger) est l’œuvre de Charles Labro (ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale) qui finira par produire des constructions Art Nouveau sans toutefois faire concurrence à la créativité d'un Hector Guimard ou d'un Jules Lavirotte. 


La façade sur cour est tout aussi soignée et les saillies y sont aussi de rigueur. A pans coupés elles laissent deviner la présence d'une cage d'escalier ; plus travaillées elles encadrent sans doute un séjour. On peut admirer les pendentifs rattrapant le passage du pan coupé du troisième étage à l'angle droit du quatrième.



Dans la cour que l'immeuble partage avec son voisin du 54 en travaux (presque achevés), les vélos s’entassent dans un joli désordre. Certains semblent avoir servi jusqu’à l’épuisement.


Et ce n'est pas terminé, il faut revenir sur nos pas pour retraverser le hall d'entrée, car c'est là que résident les petites surprises que nous réserve cet immeuble où tous les recoins ont bénéficié d’un traitement soigné. Il est encadré côté rue par une belle entrée surmontée d'un arc en briques bicolores (un petit bémol néanmoins : l’hypertrophie de la clé de l’arche qui fusionne avec le corbeau de l'étage supérieur).


Comme s'il ne devait pas lui non plus être négligé, l’accès côté cour quoique simple est rehaussé par 3 discrètes rosaces ornementales uniformément blanches fixées sur le linteau métallique.




Une fois dans le hall l'on ne sait que regarder en premier :  le faux-plafond décoré de plaques de plâtre moulé, le sol pavé de bois, les murs habillés de briques et ornés de cabochons, les carreaux en relief émaillés où s'enroulent les rinceaux d'une belle frise végétale. 






On sent la proximité de l'Art Nouveau mais ce n'est pas de l'Art Nouveau...



Vous pouvez vous pencher, ils sont bien en bois ces pavés !


Un grand merci à Fati pour cet article riche et passionnant !

Addendum 20 novembre 2017

Quand je vous dis que le lectorat de Paris-Bise-Art est le plus cultivé du ouaibe, je le prouve !
Voici un envoi reçu sur Twitter de la part de supergreg‏ (@supergreg3), que je remercie:



54 rue Sedaine, Paris XI°.

3 commentaires:

marc a dit…

Article passionnant que je me permets de compléter car cette rue est un peu ma jeunesse: les bas reliefs au 2 en l'honneur de Sedaine sont les attributs de l'architecture et du théâtre car Sedaine a été tailleur de pierre pour vivre à ses débuts dans la littérature. Au 71 superbe vestibule en faience et peu connu (la façade est banale), au 7 et à l'angle avec la rue St Sabin, belles boulangeries avec décor, au 28 magnifique cour industrielle qui donne rue de la Roquette avec les restes d'un couvent (que l'on voit du coté Roquette, car la cour est coupée en deux par une grille). Et enfin une question, le bel hôtel particulier au 53bis avec le monogramme MS n'est il pas aussi un clin d'oeil à Michel Sedaine?

Fati a dit…

Des recherches menées en ce sens n'ont rien donné. A cette adresse un bâtiment (mais de combien de niveaux, pour quel usage, par quel architecte ?) a été construit en 1877 pour un certain Dumont et a été surélevé d'un étage en novembre 1927 (là encore l'architecte est inconnu). A cette date l'occupant est un certain "Scheni". J'émets l'hypothèse que le monogramme ornant la façade du 53bis renvoie à ce patronyme. S'agissait-il du commanditaire de la surélévation ?
Par ailleurs je confirme que cette rue ménage de belles surprises (mais je ne connais pas le vestibule du 71) et si Jean-Paul :) le permet je lui envoie une petite suite moins fouillée mais où figurerait entre autres l'hôtel en question...

JPD a dit…

Ah mais moi je permets tout ! Je viens déjà de faire un addendum à l'article pour ajouter un plan reçu d'un lecteur !