Lorsque Fati nous envoie un article, on peut être sûr qu'il sera dense, intelligent et précis; je lui laisse donc la parole.
Connaissez-vous
le Chapiteau
des Baisers ?
Moi je n’en avais jamais entendu parler avant d’avoir
consulté… la Revue
Bizarre
(je vous assure que je n’ai pas fait exprès !) consacrée aux
« Maisons 1900 de Paris ». On est en 1963, à l’époque
où l’appellation Art Nouveau n’était pas encore définitivement
adoptée.
Ce
chapiteau est proposé en illustration d’une étude sur le
mouvement. Mais aucun renvoi du texte vers l’image ni de l’image
vers le texte pour éclairer la présence de cette illustration.
Intrigant ! Sans doute parce que ce chapiteau et sa colonne
devaient être suffisamment célèbres à l’époque pour ne
nécessiter aucune ligne explicative. Sa reproduction se justifie
juste par le style Art Nouveau de ses reliefs qui fait le lien avec
les « maisons 1900 » étudiées par l’auteur.
Exposé
au Salon de 1906 et souhaité pour « une maison du peuple »
qui n’a pas vu le jour, il sera installé au jardin du Luxembourg,
du côté de la rue A. Comte. C’était une commande de l’état
destinée spécifiquement pour le jardin.
Mais
au fil du temps, l’Art Nouveau n’étant pas encore sorti du
purgatoire, le monument a dû devenir un objet à reléguer aux
encombrants. Alors, sous le mandat Mitterrand, il a été décidé
(par François Mitterrand lui-même comme cela a souvent été
écrit ?) de s’en débarrasser pour être remplacé par une statue
de P. Mendès France. Statue qui aurait très bien pu trouver place
ailleurs. Le jardin du Luxembourg s’étend tout de même sur plus
de 20 hectares.
Après
un bref séjour « en 3 morceaux séparés, à même le
sol, dans l'herbe, dans une cour de la manufacture des Gobelins ; le
chapiteau recouvert de lierre, le tout exposé aux intempéries »
[G. Aillaud, https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris],
quelques années plus tard, la sculpture va trouver refuge en bonne
place à Roubaix, sauvée par des amoureux du Patrimoine et de
l’Histoire.


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Le
concepteur de ce Chapiteau
des Baisers,
Émile Derré (1867-1938) est un sculpteur engagé, sympathisant
anarchiste spécialisé dans la représentation de personnalités
dont il partage les convictions, avec un faible pour Louise Michel,
mais qui est aussi fasciné, et ce n’est pas contradictoire, par
les thèmes sociaux tournant autour du noyau familial et de ses
étreintes. Derré a dû être un grand sensible, qui a fini
malheureusement par se suicider. Les sculptures de ce chapiteau
laissent deviner les tourments dus au départ des êtres chers et des
proches. Ses biographes le nomment le « sculpteur humaniste,
engagé et créateur d’un art social » [Tess Macé-Malaurie,
Émile Derré... - Mémoire de Recherche – École du Louvre]
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Pour
en revenir à notre monument. Trois de ses faces mettent en scène
Louise Michel enlaçant un homme, la quatrième une maman cajolant
son enfant. Et pour compléter tous ces câlins, une farandole de
Satyres se faisant face deux à deux pour… s’embrasser orne
les 4 côtés de l’abaque ! Ils sont là pour couronner de manière
humoristique les 4 épisodes principaux qui symbolisent : la
Maternité, la Consolation, l’Amour et la Mort. Parmi les trois
couples enlacés il y aurait outre Louise Michel, Élisée Reclus et
Auguste Blanqui. Mais comme je ne les connais pas personnellement, je
n’ose m’aventurer à dire qui est qui. À la base de la colonne,
un autre trait d’humour, 4 chiens en fidèles compagnons veillent
sur ce résumé du parcours humain, de l’enfance à la mort.
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Mais
si vous voulez avoir une idée, à Paris, sur les sculptures d’Emile
Derré, il faut vous rendre dans le XIVe arrondissement. Les trois
groupes sculptés sur la façade de l’immeuble du 176 boulevard
Raspail sont le parfait pendant du Chapiteau
des Baisers...
Ils illustrent les Trois Âges de la vie : l’Amour, la
Maternité et la Mort.
D’autres
reliefs se retrouvent ailleurs dans Paris, dans le XVIe ou le XVIIIe
arrondissement.
Certains
ont déjà eu les faveurs de Paris-bise-art.
Un grand merci à Fati !