lundi 19 décembre 2022

Immeuble Charles Lemaresquier - ParisXVI°

 Connaissez-vous le mascaron colossal de la rue de l’Assomption ? Si ce n’est pas encore le cas il faut corriger cette lacune. L’objet mérite le déplacement. Et la façade qui lui sert d’écrin mérite aussi le détour.


Il s’agit d’un immeuble édifié en 1929, à la façade hybride qui, sur une structure conventionnelle, associe une ornementation végétale Art Nouveau à une thématique Art Déco mise en avant par la présence de l’habituel compotier, des cannelures des colonnes, des murs à pan coupé ou des rainures simulant les retombées d’un rideau. Le décor intérieur est essentiellement Art Déco, mais j’ai promis de ne diffuser aucun des clichés que j’ai été autorisée à prendre, j’en suis bien désolée.






Le concepteur de cette construction soignée, Charles Lemaresquier, est l’architecte du Félix Potin de la rue Réaumur, et de l’imposant Cercle national des Armées de la place Saint-Augustin. C’est un coriace, il a vécu 102 ans ! Mais il est surtout considéré comme le principal garant de l’académisme contre l’avant-garde. Car pour les historiens de l’architecture, il restera pour toujours l’architecte qui, en 1927, s’est farouchement opposé au projet moderniste proposé par Le Corbusier lors du concours pour l’édification du siège de la Société des Nations à Genève. Pour ce projet, 9 dossiers avaient été retenus sur 377 envois. Et parmi les 9 finalistes, le premier à avoir été éliminé d’entrée de jeu ce fut Le Corbusier, le jury avait trouvé que son «  style ultra-moderne aurait donné au palais l’allure d’une gigantesque usine ».










L’élément remarquable de la façade qui nous intéresse ici, est la sculpture colossale déployée sur 3 niveaux. Que représente cette figure si haut placée ? Une sorte de Dieu Nil ? Pourquoi pas. Cela peut être suggéré par la présence des colonnes égyptisantes à chapiteaux palmiformes qui encadrent les baies et la composition axiale. Mais l’Art Déco s’est tout simplement beaucoup inspiré de l’art égyptien.



Une autre explication me paraît plus plausible. Malgré les grappes de raisins, ce bas-relief surdimensionné n’est pas Bacchus. En raison de ses oreilles pointues il ne peut s’agir que d’un Faune ou d’un Satyre. Et comme de sa bouche coule un fleuve sous forme de congélations, il pourrait bien s’agir de Marsyas. Selon la légende, ce Satyre, après avoir été écorché vif par la cruelle vindicte d’un Apollon furieux d’avoir été défié sur son propre terrain, à savoir la musique, aurait donné naissance à un fleuve formé, selon les versions, par son sang ou par les larmes de ses nombreux amis. 




Cette composition a sans doute un antécédent : l’Ange monumental du 57 rue de Turbigo. Tous deux partagent leur monumentalité et leur côté atypique, unique à Paris me semble-t-il. Mais là s’arrêtent les points communs.  

Car quand il œuvrait à l’édification du siège du Félix Potin de la rue Réaumur (actuel Monoprix) Charles Lemaresquier a pu être marqué, quelques centaines de mètres plus loin, par cette énigmatique figure ailée qui date de 1851 et en donner une interprétation très personnelle sur l’immeuble de la rue de L’Assomption, là où il a fini par installer son cabinet.



Mais qui, en 1929, trouvait encore original ou pertinent d’animer une façade avec des décors empruntés à la mythologie gréco-latine alors que l’architecture s’engageait dans la modernité ? C’est sans doute à cause de Lemaresquier que Corbu a fait un gros blocage en bannissant avec vigueur de l’architecture moderniste le moindre petit élément décoratif, la moindre petite fleur ornementale. Ce qui souvent est bien dommage !

18 rue de l’Assomption, Paris XVI°.


Un grand merci à Fati pour cet article passionnant !


3 commentaires:

Nina a dit…

Merci Fati. Flaner le nez en l'air est un plaisir, à Paris

Anne a dit…

MERCI; remarquable visite de cette facade, quel bonheur de pouvoir, à travers votre œil, jouer les cordistes. Un des décors est d'actualité, en cette période de Noël, les belles guirlandes de houx...

marc a dit…

Merci Fati, très interessant, j'ignorais que c'était le cabinet de Lemaresquier.
Pour info le 17 de la même rue, la chapelle notre dame de l'assomption (1961) est du fils de Charles: Noel Lemaresquier
Je regrette que l'on ne puisse pas voir les photos de l'intérieur....mais bon une promesse est une promesse. Certes un immeuble est chose privée mais une photo des parties communes n'a rien d'illégal.
J'ai regardé ma documentation, il n'est pas inscrit à l'inventaire des monuments historiques.
Mais dans les commentaires, Fati peut-elle décrire un peu l'intérieur: escalier, hall?
Je n'ai pas souvenir que le hall était transcendant mais je ne l'avais vu que que de l'extérieur et pas l'escalier