Avis de recherche, d’une bouteille à la terre… catacombesque parisienne !
Il n’y a rien à gagner, excepté la considération et la reconnaissance de l’auteur de ce billet (gilles.thomas@paris.fr), qui essaye par la même occasion de renouveler l’histoire de la station de métro Mouton-Duvernet. En souhaitant que cet article soit le prélude à des études similaires sur d’autres stations… tout comme Mouton-Duvernet justement fut le parangon des stations aux carreaux de faïence orange / orange sanguine / mandarine, qui sont apparues à la toute fin des années 60’s ; à tel point que l’on parlait alors de « station Mouton » pour toutes celles ayant également changé leur revêtement interne pour adopter ce coloris Casimirien.
Bouteille à la mer concernant les travaux de consolidation du métro ligne 4
Propos liminaires : Le texte de ce message, cet appel désespéré, a malheureusement été écrit il y a maintenant plus de six mois. Ce n’est pas que la « bouteille » envisagée pour servir de contenant ait été cassée, bien au contraire elle existe toujours, c’est sa mise à l’eau qui a sans cesse été reportée jusqu’à ce que l’on peut interpréter comme une fin de non-recevoir. Aussi, un immense Merci à Paris-Bise-Art de n’être pas un colosse aux pieds d’argile, et d’avoir a contrario ses assises bien ancrées dans un sol calcaire sur lequel on peut s’appuyer ; il y a heureusement des transporteurs plus fiables que d’autres… (comprenne qui pourra !) Cette bouteille qui est enfin lancée, comme la plupart en ce monde égoïste n’atteindra peut-être jamais aucun rivage salvateur tant espéré, mais si vous n’avez rien à y gagner, je n’ai rien à y perdre, alors allons-y, jetons-nous à l’eau…
C’est un élément unique qui a été soustrait du patrimoine des anciennes carrières sous Paris. Au niveau d’une confortation sous la station de métro Mouton-Duvernet (ligne 4 : http://ktakafka.free.fr/metro/metro.html), précisément dans une transversale, avait été découverte par Céline une bouteille tout au fond d’une « lumière de visite ». Celle-ci avait plus que certainement été déposée là au moment des consolidations en carrière effectuées en 1904, il y a donc presque 120 ans. Elle était attachée par un fil de fer très oxydé qui venait tutoyer l’extrémité de cette ouverture horizontale, mais semblait être un peu collée au fond, retenue certainement par du ciment ayant coulé le long de la paroi lors des travaux nécessités pour assurer la stabilité de cette station vis-à-vis des carrières.
Dans le secteur de l’écrin de cette bouteille, au niveau d’une transversale, où seuls les plus anciens d’entre nous peuvent se souvenir que sous la gravure « 1er Transversale » [rigoureusement] il existait un pochoir précisant « à ??? mètres du seuil de la Bre », donnant la distance jusqu’à la barrière d’Enfer (idem pour la troisième transversale comptée à partir de Denfert), on peut déchiffrer au-dessus de cette indication, s’il n’y a pas d’erreur d’interprétation, « PoP 1904 ». Mais les bombes des cataclastes et les brosses des pseudo-nettoyeurs autoproclamés ont fait plus de mal que l’outrage naturel du temps…
Ce nom est confirmé par d’autres inscriptions portant le même graphisme aux environs.
À proximité, on peut aussi observer d’autres graffitis au crayon datant de 1904, dont Ségurel, un nom que l’on avait déjà découvert au niveau des consolidations édifiées lors de l’extension de la ligne de Sceaux en 1895, sous la station Port-Royal (voir l’article Gare de Denfert-Rochereau : les dessous insolites de la ligne de Sceaux, p.34-45 d’Historail n°44, paru en janvier 2018 ; se reporter à l’illustration infra). Et l’on sait sans ambiguïté que Ségurel était une des personnes ayant œuvré sous la capitale lors de ces travaux ; mais comme nous ne l’avons pas trouvé dans la liste du personnel de la Ville de Paris aux Archives municipales (AD75 : boulevard Sérurier), on peut légitimement penser qu’il faisait partie de l’entreprise de maçonnerie à laquelle avaient été confiés ces confortations souterraines. Certainement tout comme PoP ou REL.
Les consolidations au niveau des carrières sous la station de métro Mouton-Duvernet ont bien été réalisées en 1904-1905 (on peut observer ici l’ampleur de la tâche : https://capgeo.maps.arcgis.com/apps/instant/media/index.html?appid=59873b0b206e4aefae712dc2cdda200c), ce que confirme la plaque commémorative en tôle émaillée toujours en place sous la station Denfert-Rochereau, et devant laquelle passaient autrefois les visiteurs des Catacombes sur le chemin de l’ossuaire municipal. C’est d’ailleurs une des deux seules qui n’ont pas été volées pour servir de trophée sur un quelconque mur privé sans intérêt aucun. Qui a pourtant conscience que de tels travaux indispensables préparatoires à l’établissement de certaines lignes du métro (celles au-dessus d’anciennes carrières souterraines, donc principalement les 4, 5, 6, 7, et très ponctuellement pour la 8) ont été réalisés pour mettre en sécurité la circulation des futures rames, qu’elles soient de voyageurs ou de chantiers ? Et qui a la chance de pouvoir les observer in situ, sinon des cataphiles au fait de la chose, ou des personnes chargées de vérifier régulièrement la non-dégradation des massifs de soutènement, au sein des équipes mixtes composées d’ingénieurs de la RATP et de personnes du service des carrières ? Comme toutes ces choses qui se passent au-dessous de la surface de la terre, ou bien on n’y attache aucune importance car on ne les voit pas ou au pire on n’en a même pas connaissance, ou au contraire on y reporte éventuellement ses fantasmes les plus sombres associés à une imagination débridée !
Plaque commémorative à l’aplomb de la station Denfert-Rochereau, la moins profonde des deux, celle de la ligne 4 comme c’est écrit dessus.
La station de métro elle-même, apparaissant sur certains plans avec la précision « Rue » ce qui donne comme nom de station pressentie « Rue Mouton-Duvernet », a été ouverte le 30 octobre 1909, pour un fonctionnement de la ligne 4 « ancien modèle (i.e. uniquement intra-muros, allant de « Clignancourt à Orléans ») en 1910. En détaillant un peu les étapes, le 21 avril 1908 les voyageurs purent effectuer le trajet depuis la Porte de Clignancourt jusqu’à Châtelet (et vice-versa bien sûr !). Puis, à partir du 30 octobre 1909 c’est le tronçon Porte d’Orléans – Raspail qui fut ouvert, la jonction Raspail Châtelet n’étant rendu possible que le 9 janvier 1910. La ligne 4 fut à ce titre la première à passer sous la Seine à la suite de travaux s’étageant de 1905 à 1907 car ayant nécessité au préalable la congélation des terrains proche du fleuve et donc gorgés d’eau (voir « Histoires de Paris » n°21 : Le métro parisien. Une épopée de 120 ans, coordonné par Julian Pepinster avec l’aide de Gilles Thomas, édité par Le Parisien, parution le 7 décembre 2022).
Voici par exemple sur Gallica le plan du Chemin de fer métropolitain daté d’avril 1911, (complété par ceux de la Compagnie Nord-Sud), montrant les lignes déclarées d’utilité publique et celles concédées à titre éventuel selon la délibération du Conseil Municipal du 23 décembre 1907 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53069826q (remarquez les projets non réalisés : quai de Javel – avenue d’Orléans, voire au-delà, et d’extension Porte d’Orléans – porte de Gentilly).
On peut légitimement se poser les questions suivantes : qui a pu vouloir laisser sous terre ce système élaboré à destination de qui le détectera, comme on lance un ballon auquel on suspend un message, ou plus exactement à la manière d’une bouteille jetée à la mer avec le fol espoir que quelqu’un la trouvera… un jour ? Ségurel ?... qui était déjà récidiviste car ayant sévi ailleurs en 1893, lors des travaux effectués souterrainement pour sécuriser, vis-à-vis de potentiels effondrements, le premier prolongement de la ligne de Sceaux dans Paris, portant en ce temps son terminus de la gare de Sceaux / Denfert, à celle de Sceaux / Luxembourg, comme cela est parfois visible sur des plans du métro, y laissant déjà également son nom sous terre à cette occasion. Sur la paroi photographiée, il a bien indiqué la date de 1893 en ajoutant : « Travaux de consolidation du chemin de fer de Sceaux ». On peut distinguer un autre nom daté de 1893, à gauche du sien : Flori. Ce nom, d’un ouvrier ayant également participé à ces travaux souterrains puisque daté aussi de 1893, est parfois associé à un autre de ses comparses œuvrant au noir, un dénommé Rodier ; ils laissèrent tous les deux, en plusieurs endroits très éloignés sous la capitale, leurs noms indépendamment l’un de l’autre, seules manifestations qui leur permirent de sortir finalement de leur anonymat au milieu du « peuple des tunnels… souterrains », pour paraphraser l’ethno-archéologue Astrid Fontaine.
https://lejsd.com/content/dans-les-entrailles-de-la-ligne-14 ;
http://www.historim.fr/2013/03/la-ligne-12-atteint-mairie-dissy-24.html.
Comme quoi il n’y a pas que la « canaille » qui met son nom sur la muraille !
Autrefois, également sur le parcours touristique des Catacombes, les visiteurs passaient devant une majestueuses plaque commémorative gravée, à proximité de l’« embarcadère de la Ligne de Sceaux »… lui aussi matérialisé par une gravure au niveau des carrières souterraines, mais directement sur la masse de calcaire qui se trouve à l’aplomb de sa façade (https://aurendezvousduvoyageur.fr/2022/01/28/la-ligne-de-sceaux-sur-la-piste-de-lancetre-du-rer-b/).
© Robert Chardon : http://documentation.lutecia.fr/spip.php?article7.
Ci-dessus plan du métro avec la gare de Sceaux / Luxembourg, ici encadrée (collection auteur) ;
Ci-après, extrait d’un plan apparu lors du décarossage de la station de métro Marx Dormoy l’été 2022, après de très longues tergiversations (photo auteur) http://metrons.e-monsite.com/blog/station-marx-dormoy-a-quand-le-decarrossage.html ; https://www.sortiraparis.com/actualites/a-paris/articles/279978-paris-la-station-de-metro-marx-dormoy-en-renovation-vous-devoile-ses-vestiges-des-annees-1960.
On ne peut en effet que subodorer que si avait été conçu un tel dispositif (une bouteille inaccessible car au bout d’une longueur plus grande que celle du bras – mais de toute manière l’ouverture dans la maçonnerie pour espérer toucher ce Graal catacombesque ne serait-ce que du bout des doigts était trop étroite pour qu’un bras puisse y pénétrer –, avec un fil de fer pour pouvoir l’en extraire), c’était pour y laisser un message à l’attention du futur découvreur de la chose. Si dans les deux exemples précédents (un message suspendu à un ballon voyageur, ou véritablement inséré dans une bouteille que l’on pose sur l’onde d’une rivière, d’un fleuve, voire océane), c’est à un voyage aléatoire dans l’espace que l’on confie son écrit, dans le cas présent cela aurait dû être un voyage dans le temps ! Céline, l’inventeuse de ce simple récipient en verre du quotidien mais qui était devenu exceptionnel par sa localisation et les préparatifs associés, ce qui avait échappé à tout le monde, est plus que dépitée, ce qui se conçoit, on le serait à moins ; être si proche d’une découverte unique et que l’objet disparaisse corps et âme… car quelqu’un a réussi à l’extraire de sa gangue de ciment et l’a donc subtilisé avant qu’il ne puisse être étudié. Et je me sens non seulement solidaire, mais aussi parfaitement fautif n’ayant pas réagi assez vite pour l’aider dans sa tentative de récupérer cette mini-bouteille, car tel était son format. On ne saura peut-être jamais s’il y avait un papier à l’intérieur (mais si cela n’avait pas été le cas, pourquoi avoir alors conçu tout cela ?), et si le bouchon était suffisamment étanche pour que le support et le texte traverse le temps sans trop de dommages (comme cela fut le cas pour : https://www.inrap.fr/message-bottle-4948, mais surtout https://www.inrap.fr/message-bottle-1918-11469)… Sauf si quelqu’un, en sachant plus sur la disparition du corps du délit, se manifeste ! En tout cas, je me suis pris à rêver dès le départ à un message, peut-être pas aussi abouti que celui déposé dans une bouteille laissée elle-aussi sous terre en 1875, quand lors de l’expédition au Mont Clairgeon, « un procès-verbal contenant le nom des alpinistes qui prirent part à l’excursion fut glissé dans une bouteille soigneusement bouchée et cachetée, et descendue par moi dans le puits, et je la plaçais dans une anfractuosité de la voûte au-dessus de la petite cheminée », nous a rapporté A.-E. Gallet, Capitaine du Génie dans « L’Exploration de cavernes dans les Alpes » (concernant le puits aurifère de Cocrair, dans le Bulletin trimestriel de 1876 du Club Alpin Français : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9764593s/f84.item).
Terminons par deux photos connexes montrant des travaux associés à la construction de notre station « Mouton », datant toutes les deux du 25 avril 1905, mais au-dessus des carrières.
La première, la démolition d’une ancienne conduite d’eau en béton, à l’endroit de la station « rue Mouton-Duvernet ». Ce premier cliché a été pris à l’avancement en galerie, en direction de la porte de Clignancourt. (© Charles Maindron : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris) ;
On la trouve aussi là : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/construction-du-chemin-de-fer-metropolitain-municipal-de-paris-demolition-d, précisément ici : https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0000569841/0001 ).
La seconde vue a été prise en direction de la porte d’Orléans (aujourd’hui on dirait Bagneux, après avoir dit temporairement « Mairie de Montrouge » !). Ce document est quant à lui issu de la collection de la Bibliothèque administrative (donc celle de l’Hôtel de Ville) de la Mairie de Paris, consacrée à la « construction du chemin de fer métropolitain municipal de Paris ». Il fait partie de l’album « Chemin de fer métropolitain municipal : ligne de la Porte de Clignancourt à la porte d’Orléans (1905-1909) Tome 1, vues prises en 1905 et 1906 », soit https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0000569841/0002.
Je me félicite souvent d'avoir atterri un jour par hasard
RépondreSupprimersur ce site incommensurable, qui me ramène en enfance,
m'épate et m'instruit en même temps.
[Aparté: je hais l'écriture scripte, donc j'ai du mal
à comprendre que Ségurel (peut-être originaire de Chaumeil...)
puisse passer du script aux capitales]
Il y a eu un Jean Ségurel, musicien limousin, et dans un disque j'avais une "bourrée de Chaumeil". Je n'ai malheureusement plus ce disque Peut-être de la famille de ce Ségurel du métro? Les maçons de la Creuse étaient nombreux. Ceci dit Chaumeil c'est en Corrèze (pas si loin).
RépondreSupprimertravail toujours précis de Gilles Thomas
RépondreSupprimerJe verrai Mouton Duvernet désormais d'un autre oeil
je ne connais pas les stations préférées de metro de lorent deutsh, pour moi c'est gare de l'est (lignes 5 et 7)
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RépondreSupprimerMerci à Gilles Thomas dont j'ai lu l'excellent " Paris sous Paris " il y a 2 semaines. Un savoir historique total, une écriture de grande qualité, un sujet traité dans son entier, le tout accompagné de photos excellentes, voilà ce qui m'a enthousiasmé dans cet ouvrage.
Belle collaboration avec Paris Bise Art avec cet article !