Connaissez-vous le passage du Pont-Neuf ?
Non bien sûr, car il fut détruit peu avant la première guerre mondiale.
Comme pour d'autres passages disparus, chaussons nos bésicles et partons à sa recherche !
plan de 1839 |
Premiers éléments: sur ces deux plans de 1832 et de 1889, on voit notre passage reliant la rue Mazarine à la rue de Seine dans le prolongement de la rue Guénégaud.
plan de 1882 |
Au même endroit aujourd'hui, nous voyons la rue Jacques Callot, plutôt large pour le quartier:
Ici, vue depuis la rue de Seine:
capture d'écran Google maps |
Ici, vue depuis la rue Mazarine:
capture d'écran Google maps |
Alors, où est notre passage ?
Nous n'avons pas rêvé puisque Georges Cain en parle dans son livre Coins de Paris:
page 159 :
Tout proche et faisant communiquer la rue Mazarine, ou jouèrent Molière et sa troupe, avec la rue de Seine, traversons le Passage du Pont-Neuf élevé sur l'ancienne entrée du théâtre, et où Zola plaça son terrifiant roman, Thérèse Raquin.
Que voici donc un coin typique, sordide, noir et puant, mais étrangement pittoresque, avec ses marchands de pommes de terre frites et ses mouleurs italiens. Les boutiques qu'il continue semblent dater d'un autre âge ; une seule étant encore achalandée il y a quelques mois, celle du marchand de papier à dessin. Le Maître Bonnat nous racontait avoir acheté son "papier Ingres", alors qu'il était élève dans cette Ecole des Beaux-arts dont il est aujourd'hui le très éminent Directeur. La boutique était restée la même depuis soixante ans et la marchande y assurait que les "tortillons à estomper qu'elle y débitait, étaient identiquement ceux dont se servait Monsieur Flandrin".
et le grand Emile Zola y situe son roman Thérèse Raquin que nous avons tous lu au collège:
extrait du chapitre I:
Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu'on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse.
Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble.
À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. II y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d'enfant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l'ombre ; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres ; au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s'agitent des formes bizarres.
À droite, sur toute la longueur du passage, s'étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d'en face ont plaqué d'étroites armoires ; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s'y étalent le long de minces planches peintes d'une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s'est établie dans une des armoires ; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d'une boîte en acajou.
Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d'une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Le passage du Pont-Neuf n'est pas un lieu de promenade. On le prend pour éviter un détour, pour gagner quelques minutes. Il est traversé par un public de gens affairés dont l'unique souci est d'aller vite et droit devant eux. On y voit des apprentis en tablier de travail, des ouvrières reportant leur ouvrage, des hommes et des femmes tenant des paquets sous leur bras ; on y voit encore des vieillards se traînant dans le crépuscule morne qui tombe des vitres, et des bandes de petits enfants qui viennent là, au sortir de l'école, pour faire du tapage en courant, en tapant à coups de sabots sur les dalles. Toute la journée, c'est un bruit sec et pressé de pas sonnant sur la pierre avec une irrégularité irritante ; personne ne parle, personne ne stationne ; chacun court à ses occupations, la tête basse, marchant rapidement, sans donner aux boutiques un seul coup d'œil. Les boutiquiers regardent d'un air inquiet les passants qui, par miracle, s'arrêtent devant leurs étalages.
On trouve aussi des gravures illustrant ce roman et notre passage (Tiens, un zeugma !):
L'épouse de l'ancien propriétaire de l'îlot, madame Frémont, a voulu conserver le souvenir du passage; elle a réalisé une douzaine de cartes assez précises comme celles-ci:
L'irremplaçable Eugène Atget nous confirme par ses photographies que notre passage a bien existé !
Cette aquarelle de François Leteurtre nous montre le passage qui s'élargit après une volée de marches...
Eugène Atget confirme !
et ce plan du passage nous montre exactement sa situation:
Quelques vues de la sortie de notre passage côté rue Mazarine:
par madame Frémont:
par Léon Leymonnerye
par Gaston Coindre
et par Eugène Atget:
Toujours Atget, mais prise de la rue Guénégaud.
Du même endroit aujourd'hui, on voit la rue Jacques Callot, comme dans la capture d'écran vue en quatrième position de cet article.
Ici, la sortie rue de Seine, par Léon Leymonnerye:
et celle-ci toujours rue de Seine par madame Frémont, astucieusement mise en parallèle avec une photographie contemporaine:
La destruction du passage du Pont-Neuf eut lieu en 1913:
Il laissa la place à la rue Jacques Callot; prise ici en direction de la rue de Seine:
Rue Jacques Callot, rue de Seine, rue Mazarine, Paris VI°.
Bravo pour ce remarquable article !!! Un grand merci de la part du " Piéton de Paris " que je suis .
RépondreSupprimerRemarquable reportage, très fouillé, alliant le littéraire à l'artistique: bravo
RépondreSupprimerPetite déception néanmoins: si j'ai bien compris, il n'y a plus rien du tout à voir, ce qui n'était pas le cas des passages de la Sorbonne ou d'Antin.