lundi 3 décembre 2018

Les mosaïques cachées de l'avenue d'Italie

Quand Fati nous envoie un article, il n'y a rien à ajouter, même pas une faute d'orthographe à corriger. C'est donc bien volontiers que je lui cède la parole. 

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Quand on se promène il ne faut pas se laisser impressionner par certaines façades au risque de passer à côté de petits lieux d’exception. Ainsi, au croisement de l’avenue d’Italie et de la rue de Tolbiac le regard du passant pourrait être attiré par le bel immeuble occupé par une enseigne de décoration pour la maison (55-57 avenue d’Italie). Le traitement sophistiqué des deux premiers niveaux en bossages arrondis bien marqués, la grande variété des baies ou de leur garde-corps, l’imposante porte d’entrée à claire-voie décorative, en font un immeuble abouti et photogénique.


Ce n’est pas tout à fait le cas du sage immeuble d’angle haussmannien qui lui fait face sur l’avenue d’Italie. Pourtant c’est à cet immeuble sans prétention mais néanmoins soigné que l’on va s’intéresser.


Les deux constructions émanent de l’association de deux architectes, Gustave Just (1828-1910) et Ernest Denis (1848-1921), sur lesquels nous n’avons que des informations lacunaires. Gustave Just était « architecte vérificateur expert », membre de la Société centrale et de la Commission d’hygiène. Son activité architecturale débute probablement en 1884. Il semble apprécier le travail en équipe puisqu’au tournant du siècle il met en place une fructueuse collaboration avec Ernest Denis son cadet de 20 ans, pour faire appel par la suite au concours de son propre fils. Parmi les divers travaux des deux constructeurs il y eut des salles de cinéma dont il ne reste plus grand-chose et un bon nombre d’immeubles d’habitation dont beaucoup sont implantés dans le XIII° arrondissement, où ils avaient d’ailleurs leur agence.


Au n°76 de l’avenue d’Italie la porte d’entrée en fer ouvragé, entre courbes sagement arrondies et volutes art nouveau, brille par le mascaron qui la surmonte, un satyre grimaçant de manière outrancière au point d’en perdre la mâchoire ! (du Tex Avery avant la lettre si l’on peut oser une telle comparaison). Si l’on part du principe que l’implantation des mascarons au-dessus des entrées est sans doute née du désir d’écarter les puissances malveillantes ou de faire peur aux voleurs ou autre visiteur indésirable, mieux valait ne pas aménager un hall aussi soigné ! Un hall où se déploie bizarrement de manière confidentielle ce qui à l’époque de son édification (1901) s’affichait fièrement à l’extérieur sur les façades, à la portée du regard de tous.



Je vous propose de jeter un coup d’œil à travers le vitrage de cette porte pour vous plonger dans un univers caractéristique de l’écriture décorative de l’Art Nouveau, forgé par des adeptes d’Eugène Grasset (le créateur de la Semeuse, emblème des éditions Larousse) ou Alfons Mucha mais aussi de Guimard ou Lavirotte. L’ornementation végétale et la conception sans surcharge de ce vestibule présentent un ensemble au style homogène. Les décors ne dévoilent malheureusement le nom d’aucun artiste, artisan ou entreprise.


À commencer par le pavement en mosaïque avec ses tiges en « coup de fouet » si spécifiques portant quelques rares iris et que l’on retrouve dans de nombreux autres immeubles de l’époque à Paris ou ailleurs. 





Note de JPD: On devrait fusiller les installateurs de boîtes à lettres !


Difficile à photographier d’un seul tenant, cette arche ne peut que nous évoquer la célébrissime porte d’Hector Guimard au Castel Béranger ou mieux encore celle de Jules Lavirotte à l’école italienne de la rue Sédillot dans le 7e arrondissement.






Une sobre cage d’escalier éclairée par une belle verrière. Son créateur peut avoir puisé sa thématique directement ou indirectement dans le recueil de modèles paru chez Lévy en 1896 sous la direction d'Eugène Grasset : La plante et ses applications ornementales (Consultable sur Gallica ou le site de l’INHA). Ce recueil présente un ensemble de planches illustrant des végétaux déclinés chacun en trois planches : la première propose un dessin naturaliste, les deux autres diverses interprétations décoratives. La portée didactique de l’ouvrage est clairement affichée par Grasset dans l’introduction : servir de « base de travail » à l’usage des artisans dans le but de « renouveler les arts décoratifs ». Il a connu un grand succès et a inspiré de nombreux ornemanistes, pourquoi pas notre artisan verrier. Grasset, tout comme Mucha ou Guimard, à la suite de Viollet-le-Duc, incarnait ce mouvement qui à l’époque tenait à puiser l’inspiration dans la nature pour l’appliquer à tous les domaines artistiques sans exception, dans le but de les « renouveler ». Notre hall en est un exemple.





 Au passage on peut aussi remarquer ce moulage de plâtre paré d’un décor végétal très peu art nouveau (c’est de la production industrielle) qui vient camoufler une encoignure aveugle, et les vantaux de portes aux moulures sobres.




Et pour finir cet ensemble de quatre panneaux de mosaïque murale mettant en scène des figures féminines personnification des Saisons, disposé selon un enchaînement consacré : Printemps, Été, Automne et Hiver. Le thème des Quatre saisons est une constante à succès dans l’œuvre de Mucha et que Grasset avait lui aussi illustré (les spécialistes reconnaissent une filiation artistique de Grasset à Mucha). Le paysage de l’arrière-plan est stylisé, la végétation qui entoure les allégories aussi.  L’Hiver avec les branches enneigées et la femme parée d'un voile, de même que les teintes automnales des chrysanthèmes, ne laissent aucun doute sur l’époque représentée. Mais l’Été et le Printemps sont un tantinet interchangeables. On peut néanmoins avancer que le Printemps est sans doute figuré par un cerisier en fleurs plus que schématisé, et que les quelques coquelicots de la mosaïque suivante apportent quelques jolies notes rouges pour l'Été.
Il aurait été intéressant de connaître le nom du créateur de ces panneaux aux tonalités harmonieusement bleutées.
Une exposition Grasset à la suite de celle consacrée à Mucha serait la bienvenue.





Je tiens à remercier chaleureusement le couple qui m’a autorisée, le sourire aux lèvres, l’accès à ce bel espace.

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Et moi je tiens à remercier Fati pour cet article complet et pour ces photos superbes !

Avenue d'Italie, Paris XIII°.

8 commentaires:

Nina a dit…

Waouh !

marc a dit…

En complément, cet immeuble se situe à la place de la chapelle Bréa, érigée en 1850 en l'honneur du général Bréa tué sur les barricades en 1848. Ce général avait été attiré dans un piège au 76 actuel, là où se trouvait une guinguette, détruite pour faire place à la chapelle et en 1901 à l'immeuble objet du reportage

le grand barde a dit…

Attiré dans une guinguette ? aucune chance que cela arrive à l'absthène et vertueux grand barde

Anne a dit…

@Grand Barde, quel clavier avez-vous utilisé, quelle paire de lunettes avez-vous chaussées? Ou auriez-vous, quand même, un peu abusé !!!Je pense que vous vouliez écrire abstème...
Merci pour ce partage tellement riche,un pur bonheur.

JPD a dit…

Ce lapsus calami (oui, je sais, j'aurais dû dire "lapsus clavis" mais je ne trouve pas ça beau, Hélène), ce lapsus calami donc, est révélateur de la véritable pensée du grand barde.
Et d'ailleurs nous avions des indices:
Il va en vacances anis,
Il possède une maison dans le Calvados,
Il habite dans une rue au numéro vin,
Il a de la famille en Alsace, à Barr,
et j'en passe !

le grand barde a dit…

vous pouvez toujours me trainer dans la boue , m'humilier , faire des calembours , sous entendre que j'aime le pastis , le Calvados et le vin , je m'en fous car il y a une personne qui m'aime , j'ai nommé l'adorable , la superbe , la magnifique , la merveilleuse Anne première magistrat de Paris qu'elle gère avec magnificence , brio , maestria et classe en étant toujours économe des deniers de ses contribuables

JPD a dit…

Comme le disait Raoul Volfoni dans la cuisine des Tontons flingueurs, il n'a plus sa tête !

marc a dit…

Oui notre chère Anne qui fut le meilleur soutien de la cause du peuple avec ses palissades jaune et verte